LA PRISON POLITIQUE DANS LE CHILI QUI S’EST RÉVEILLÉ

L’une des conséquences de la série d’événements qui se sont produits depuis le 18 octobre au Chili est le nombre important de personnes ayant été arrêtées et poursuivies pour leur participation aux manifestations sociales. Ces personnes doivent faire face, d’une part, aux infractions consignées par les Bureaux du procureur et, d’autre part, aux décisions des juges en garantie* concernant les mesures de précaution et la qualification des infractions alléguées.
Cela a provoqué tout un débat à l’heure de décider si la qualification de « prisonnier politique » correspond à ces personnes lorsqu’elles sont placées en détention provisoire.

Un deuxième point de discussion se pose en ce qui concerne la validité des principes qui soutiennent l’application régulière de la loi, c’est-à-dire la tenue d’un procès équitable en ce qui concerne ses garanties procédurales.

Une troisième question pertinente, qui n’a pas été suffisamment discutée, est le contexte social qui existe en ce qui concerne la légalité et le conflit social.

Pour définir le crime politique, il existe deux écoles. D’une part, l’école objective qui cherche à déterminer la nature des biens juridiques affectés. Si celle-ci est politique, alors elle les qualifie de crimes politiques proprement dits. De plus, elle crée une deuxième catégorie, soit les crimes de droit commun liés aux crimes politiques ou aux faits politiques, et elle assimile partiellement cette dernière catégorie à la première. La deuxième école de pensée est la subjective. Celle-ci voit dans la finalité de l’action, dans ses motifs, la raison de qualifier une violation de la loi comme « crime politique ».

Selon ces deux critères, il est possible de qualifier comme délits politiques ou délits de droit commun liés aux faits politiques, ceux commis dans le cadre des manifestations sociales.

Cela étant clarifié, il est donc approprié de garder à l’esprit trois grands éléments.

Premièrement, le concept selon lequel une violation à la légalité commise pour des motivations politiques, en général, et à deux exceptions près, est un comportement qui mérite moins de reproches criminels que le crime commis, comme on le disait au XIXe siècle, pour des motifs bas et égoïstes. Le droit pénal libéral a toujours statué que celui qui commet un crime motivé par des idéaux et dans le but de provoquer des changements politiques mérite un traitement plus clément que celui qui le fait par cupidité, égoïsme ou luxure. Ce concept se trouve dans les textes des grands auteurs classiques du droit pénal à partir du XIXe siècle. Les deux exceptions à cette considération sont le terrorisme et la violation des droits de la personne, autour desquels le traitement privilégié est remplacé par un traitement plus sévère en droit, car il s’agit de délits qualifiés.

Voici les premières données rigoureuses. Dans les manifestations sociales, il n’y a pas eu de terrorisme, à l’exception du terrorisme d’État. Même les actes de pillage sont de crimes liés à la politique qui ont, dans le droit strict, un traitement privilégié. Ainsi, par exemple, les crimes de droit commun liés à la politique n’acceptent pas l’extradition, parce qu’ils sont « couverts » par ce regard bienveillant que le droit pénal porte sur ces questions. Et cela n’est contesté par aucun auteur modérément sérieux qui connaît au moins un peu de l’histoire du droit pénal.
Malheureusement, ici au Chili, au contraire, on a essayé de stigmatiser les comportements qui perturbent l’ordre public, les comportements d’altération et les comportements de contestation et même certains délits de droit commun liés à l’usage de la force dans des affaires ou des situations de vol, en essayant de les faire passer pour du terrorisme. Le terrorisme est le recours à des actes de violence atroce ayant pour but d’intimider la population. Et ici, il n’y a pas eu de tentative d’intimider la population, mais plutôt d’inoculer une atmosphère d’agitation, de résistance, avec laquelle on peut être d’accord ou pas. Même si une personne extrêmement conservatrice se sent dérangée par cette situation, il faut savoir et reconnaître que, selon le droit pénal, cela ne fait pas l’objet d’un plus grand reproche, mais plutôt d’un reproche moindre.

Cette situation précisément, en ce qui concerne la façon de procéder des Bureaux du procureur, nous pose un problème. Parce que, de manière générale, les actes de violence d’État, qui eux sont plus répréhensibles, ont été traités par les Bureaux du procureur d’une certaine manière, contre les manifestants ils ont eu un traitement dur. Des membres des forces répressives ont été punis pour des crimes graves, mais lorsqu’il s’agit de porter des accusations contre des manifestants, il y a des Bureaux du procureur ou des tribunaux qui donnent foi pleinement aux rapports des policiers. Il faut rappeler que certains rapports ou preuves sont invraisemblables. Dans un cas par exemple, on a vu des vidéos de situations dans lesquelles les faits étaient tout à fait contraires à ce que soutenait la police. Rappelons-nous de l’une de nos plaintes où le rapport de police imputait à un manifestant les lésions subies par des policiers, alors que ce qui est arrivé en réalité, c’est que le policier s’est blessé la main en frappant un mineur.

Des situations telles que celle-ci laissent voir que les procureurs devraient être cohérents. Ils devraient conclure que si les policiers mentent et répriment, on ne peut pas utiliser ces mensonges pour imputer et fonder sur eux des mises en accusation contre les personnes qui sont détenues. Ils devraient aussi rehausser les standards normatifs pour établir les faits lorsque la prison préventive est décrétée.

Deuxièmement, les personnes poursuivies doivent être traitées avec plus de clémence. Dans cet ordre de choses, nous sommes préoccupés par le grand nombre de peines de prison préventive imposées aux manifestants. Il est inquiétant que des personnes soient placées en détention préventive pour avoir troublé l’ordre public, tandis que d’autres personnes, des fonctionnaires qui répriment ces troubles et blessent gravement des manifestants, se voient imposer des mesures de précaution moins intenses. Il s’agit d’un problème de deux poids, deux mesures difficile à expliquer.

C’est aussi un problème de double standard, et nous le disons de manière responsable, le fait qu’à certaines occasions tous les accusés se retrouvent avec des mesures punitives mineures et à d’autres, en détention provisoire. Cela indique qu’il y a des procureurs plus durs que d’autres dans le traitement de ces faits, influencés peut-être par des préjugés politiques, et qu’il y a aussi des juges en garantie plus sévères que d’autres. Apparemment, ce qu’il faudrait c’est la désignation de procureurs dont la tâche première serait le traitement de ces cas, de manière à garantir l’application de critères similaires et ainsi assurer l’égalité des imputés devant la loi. Parce qu’il n’y a pas d’égalité devant la loi si le détenu dépend du procureur ou du juge en garantie qui était « de garde » au moment de son arrestation. Il faut considérer, par exemple, qu’à Copiapó il y a plus d’une centaine de personnes emprisonnées pour des actes de contestation sociale. Il s’agit de la prison qui compte le plus grand nombre de détenus par rapport à la population de la ville dans laquelle elle est située. Ceci selon les données de la Gendarmerie elle-même.

Nous craignons que l’imputation de délits gravés ne soit utilisée pour dissimuler les graves abus subis par les détenus. Beaucoup de détenus, après avoir été sévèrement battus et torturés, sont ensuite inculpés de délits aggravés afin de dissimuler le crime de violations des droits de la personne et, dans certains cas, les détenus sont poursuivis en justice par la Loi sur la sécurité de l’État, ce qui par définition est un crime politique.

En ce sens, nous considérons qu’il est nécessaire de tenir une discussion sur ce qu’implique la prison politique, le traitement qui lui est réservé et le contexte social dans lequel elle se produit. Le pouvoir judiciaire doit assurer la continuité d’une ligne cohérente et mettre en accusation les policiers avec un traitement approprié et établi par la loi. Les manifestants qui ont été arrêtés, la plupart d’entre eux à notre avis, doivent être libérés parce qu’ils ont exercé le droit de manifester. Et pour ceux ayant commis des délits mineurs, on doit considérer les circonstances particulières, c’est-à-dire que ce sont des délits avec motivation politique. Des crimes politiques qui doivent être traités en tant que tels.

Équipe juridique
CODEPU


(1) Au Chili, le juge en garantie a comme rôle d’assurer les droits des personnes accusées et des autres intervenants dans le processus pénal.